LVNEA : Comme un parfum de mémoire

C’est un cocktail parfumé qui nous accueille le pre - mier pas posé dans l’atelier d’April. Bergamote, bois de santal, musc, pin - de l’eau de rose, peut-être? Nos nez ne sont certes pas assez entraînés pour capturer toutes les essences qui valsent d’un coin du vaste stu - dio à l’autre. Sur l’étagère de style chic apothicaire qui meuble la gauche de l’espace trône un cortège délicat et disparate de fioles, flacons et erlenmeyers, fragments fascinants d’un tout que l’on devine pré - cieux et complexe. Bienvenue dans l’antre envoûtant de LVNEA, une entreprise artisanale spécialisée dans les parfums botaniques et naturels.

« Les collections m’ont toujours fascinée », nous confie April, photographe originaire de Philadelphie convertie depuis quatre ans en artiste du fait main par sa passion des huiles essentielles. « J’ai toujours été attirée par les arts visuels, c’est ce qui m’a d’abord amenée à Montréal. Puis, j’ai développé une passion pour les produits naturels, alors j’ai décidé de fabriquer mes propres savons. » Son parcours artistique a rapidement agi comme liant à son crédo artisanal : « Ce qui m’interpellait le plus, c’était d’amalgamer mes propres fragrances, être créative par leur composition. » De la fabrication de savons, April a rapidement permuté sa démarche vers la parfumerie. Les huiles rares avec lesquelles elle aimait composer ses créations étaient trop dispendieuses pour en faire un produit d’usage courant : « La parfumerie était une évolution naturelle. »

Cette transition d’une pratique plus visuelle vers celle du parfum – intangible matière qui stimule pourtant les souvenirs les plus riches en émotion, lui a révélé un monde riche en possibilités. « L’odorat est un sens négligé et c’est ce qui m’intéresse le plus. Les gens ne pensent pas que les parfums puissent être une forme d’art. » Pourtant, un effluve suffit à faire ressurgir un moment oublié, bien enfoui au creux de notre inconscient. Le parfum est un véritable véhicule à voyager dans le temps, dont la vélocité est sous-estimée, au profit du sens de la vue qui règne en roi. Décoder le monde qui nous entoure par l’olfaction, c’est tout comme accepter de se laisser guider par son instinct sur un chemin brumeux. C’est aussi un peu dans cette zone de mystère, d’inconscient et d’immatériel que se situe LVNEA et ses parfums captivants, entre matériel et immatériel, entre terre ferme et monde éthérique.

Pour April, fabriquer un parfum est un processus itératif et expérimental : « Chaque parfum débute d’une façon distincte. Ma créativité ne suit pas de règle précise. Parfois, je pars d’un concept ou d’un souvenir. D’autres fois, j’ai une idée très précise de ce que mon parfum devrait sentir et je réfléchis à rebours à ce que cette odeur m’évoque. J’aime écrire une histoire à partir d’une fragrance. » Comme son parfum Papillon de nuit, dont l’inspiration prend racine dans sa curiosité pour l’histoire naturelle. Que pourrait sentir un papillon de nuit, ou même une pierre précieuse ou une couleur ? « Je suis partie du principe que les fleurs nocturnes sécrètent une odeur particulière, une phéromone, pour attirer les insectes. Puisqu’elles sont souvent blanches pour refléter le clair de lune et guider les papillons à les polliniser, j’ai utilisé des muscs botaniques, du palo santo et du frangipanier pour créer un parfum blanc qui évoque la nuit. » Le résultat est étonnamment sucré, presque charnel. Une autre de ses créations coup de coeur, L’Étranger, est un parfum qui matérialise le souvenir d’un moment qui ne s’est peut-être jamais produit, mais qui fait ressurgir un sentiment de nostalgie, un désir inachevé. L’art du parfum vogue ainsi sur la fine ligne entre clarté et esprit embrumé.

Ses parfums, principalement faits à base d’huiles essentielles, sont logés dans de petits flacons avec applicateur à bille. Sa gamme complémentaire d’eaux de parfum faites à partir d’alcool lui permet de se rapprocher des méthodes de fabrication plus traditionnelles. Tout récemment, c’est auprès d’une maître parfumeuse qu’elle a peaufiné sa démarche pour naviguer dans les eaux complexes des règles ancestrales de la parfumerie – composer des fougères, des chypres, tout en raffinant sa signature distinctive ancrée dans des écoles de pensée alternatives, comme l’herboristerie. Environ 10 % des huiles composant les produits LVNEA sont fabriquées par April, à partir de matières brutes qu’elle cueille dans les Cantons-de-l’Est. Chaque saison recèle ses variétés : au printemps, elle cherche le lilas et les violettes, ou ses favoris, les bulbes de peuplier - précieux bourgeons à point dans un laps de temps ténu, qu’elle infuse pour en faire baumes et huiles. À l’automne, le chaga est à l’honneur, un champignon qui pousse sur l’écorce des bouleaux qu’elle incorpore à des thés, bitters et beurres corporels. La forêt, surtout les conifères, forme un lexique parfumé qui lui est propre.

Nombre de ses techniques d’infusion proviennent de l’herboristerie; extraire l’essence du fruit de ses cueillettes en les plongeant dans l’alcool, de 6 semaines à 6 mois, pour en faire des teintures d’herbe, les placer ensuite dans des pots de verre ambré stocké à la pénombre, ou les enduire d’huile, puis les filtrer. Travailler à partir de récoltes locales, c’est sa façon de rendre plus accessible une connexion quotidienne avec la nature. Allier le bon et le beau est un art qu’elle maîtrise avec distinction : « À travailler tous les jours avec des plantes et des matières naturelles, je finis par découvrir leurs propriétés médicinales. Mon but est avant tout de fabriquer des produits élégants et agréablement parfumés, mais je veux à la fois qu’ils soient sains et nourrissants pour le corps », nous explique-t-elle. En ce sens, sa nouvelle gamme de sels de bain incorpore cette notion de rituel personnel, d’objets aussi fonctionnels que vertueux. Chacun s’inspire d’un élément pour insuffler au corps une dose de bien-être : Feu stimule la circulation, Rivière et Lune facilitent la détente. Forêt, quant à lui, incarne particulièrement la vision d’April, s’inspirant du shinrin-yoku japonais, un « bain de forêt » thérapeutique antistress. Cette pratique vise à s’immerger dans la nature pour respirer les molécules et huiles naturelles sécrétées par les plantes. Une forme de méditation qu’elle encapsule dans ses produits à base de conifère, pour nous faire voyager au creux des forêts québécoises par une brume parfumée.

Pour LVNEA, le parfum est un canevas pour explorer l’inconnu, un prétexte pour expérimenter avec des matières nouvelles tirées de la nature. April n’est pas une parfumeuse traditionnelle; c’est une artiste des essences qui suit son instinct pour raconter des histoires par notre sens le plus sous-estimé. Chacun de ses parfums a le pouvoir d’évoquer un monde intérieur imperceptible que seul un esprit ouvert peut capturer. Elle conseille d’ailleurs de s’amuser avec les fragrances, de jongler entre les parfums selon son humeur et de déjouer les conventions, surtout celles du masculin et du féminin. LVNEA est une invitation délicieuse au mystère, pour découvrir un univers luxuriant qui fait le plus grand bien.

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