Remonter le creux de la vague

Tout part d’une idée. Mais, il faut lui laisser le temps de germer. Pour ce faire, il faut en prendre soin, l’arroser de questionnements, de vision et parfois même de quelques doutes. Il faut aussi qu’elle reçoive suffisamment de lumière et d’espace pour croître, afin qu’elle puisse éclore et devenir quelque chose de plus concret, de tangible. Dans la nature comme dans la vie, il est tout à fait normal de faire face à des obstacles, comme un climat qui change, et de se faire mettre des bâtons dans les roues. Mais si nous nous arrêtions à ces embûches, il y a fort à parier que nous ne ferions jamais rien de grandiose. Car la grandeur d’un projet ne repose pas seulement sur sa réussite, mais aussi sur le chemin parcouru pour faire avancer sa cause, transmettre son message et sensibiliser l’opinion publique.

Cela résume bien la trajectoire de The Ocean Cleanup, un projet extraordinaire instigué par le jeune Néerlandais Boyan Slat, qui vise à nettoyer les océans de leurs marées de déchets principalement composés de plastique. C’est un Boyan Slat aux cheveux mi-longs légèrement en bataille qui se présente sur la scène de TEDx Talks à l’automne 2012. Peu de temps avant sa présentation, il avait abandonné ses études universitaires en ingénierie aérospatiale pour se consacrer à temps plein à son projet d’envergure. Il était alors âgé de dix-huit ans. Dix-huit ans. Durant sa présentation, il évoque les différentes ères de l’évolution; l’âge de pierre, l’âge du bronze et notre ère, celle du plastique. 

À voir le style « poupée russe » de la plupart des emballages des produits que nous consommons chaque jour, il n’est malheureusement pas étonnant d’apprendre que nous produisons pas moins de 300 millions de tonnes de plastique chaque année. Et ces résidus se frayent visiblement un chemin vers l’océan, malgré le concept réconfortant du recyclage. Ce faisant, ils s’accumulent de façon terrifiante dans les cinq gyres océaniques — une sorte de tourbillon formé d’un ensemble de courants marins.

Un jour, alors qu’il aperçut une personne âgée jeter un déchet dans l’eau, il en vint à la conclusion que certaines personnes ne changeront jamais leurs comportements. C’est à cet instant précis que l’idée de nettoyer les océans lui a traversé l’esprit. La beauté dans la personnalité de ce brillant jeune homme fait en sorte qu’il a vu cette problématique comme une série de défis à relever, plutôt qu’un raz-de-marée impossible à surmonter.

LA GENÈSE D’UNE SOLUTION

Pour bien comprendre comment un tel désastre a pu se produire, il était nécessaire de s’interroger sur le contexte qui nous y a menés. C’est ainsi que Boyan Slat a passé plusieurs mois avec des professeurs et des experts dans le domaine de l’environnement et de l’ingénierie dans le but d’établir une liste de 50 questions dont les réponses permettraient de confirmer la faisabilité du projet.

Son idée de grandeur se propage si rapidement qu’il réussit à amasser les fonds nécessaires pour constituer une impressionnante équipe de départ de 100 personnes. Ensemble, ils prouvent que son approche s’appuie sur une méthode qui permettra de nettoyer près de la moitié des déchets sur une période de dix ans, en commençant par le gyre du Pacifique Nord. Et au lieu d’employer des moteurs pour faire avancer l’appareil, ils utiliseront l’ennemi à leur avantage, en l’occurrence les courants marins.

Une fois la problématique de départ bien comprise, il fallait constater l’état de la situation sur le terrain. L’équipe entreprend donc deux missions de repérage : la Mega Expedition à l’automne 2015, et l'Aerial Expedition l’automne suivant. « La Mega Expedition a généré un volume important de données et d’échantillons de plastique, raconte Jan van Ewijk, porte-parole du Ocean Cleanup. Plus d'un million d'échantillons de plastique ont été comptés, identifiés et classés à la main par les membres de l’équipe — une tâche colossale qui leur a pris deux ans à réaliser. »

En septembre 2018, The Ocean Cleanup est fin prêt à lancer System 001 à San Francisco. Cet appareil flottant de plus de 600 mètres de long entame ainsi le grand ménage du gyre du Pacifique Nord, situé plus précisément entre Hawaï et la côte ouest américaine.

FRAPPER LA VAGUE DE FOND

Quelques mois après le début des opérations, System 001 éprouve quelques difficultés, une énième complication depuis le début du projet, à vrai dire. Malgré toutes les observations, les analyses poussées et les modèles testés à maintes reprises, le système avance trop lentement et le plastique ne colle pas au dispositif en place pour le récupérer.

Pour l’équipe, il ne s’agit pas d’une faille dans le système ni d’un échec. C’est le cours normal des choses. « Nous croyons qu'il est toujours important d'être aussi ouvert et transparent que possible, surtout lorsque les choses ne se passent pas bien », explique Jan van Ewijk. Ce premier essai constitue pour eux une version bêta du concept, une occasion de tester l’appareil, d’apprendre et de s’adapter le plus tôt possible. L’inattendu fait partie des prévisions.

Accueillir les imprévus pour avancer plutôt que de les percevoir comme de malheureux ennuis est certainement la bonne attitude à adopter. Cela permet également de poursuivre la mission, de continuer à lancer un signal d’alarme en ce qui a trait à l’importance de la protection des écosystèmes et de leur régénération essentielle.

SORTIR LA TÊTE DE L’EAU

Au fil des conférences, des publications et des essais et erreurs, The Ocean Cleanup conscientise la planète entière depuis ses débuts à propos de la surabondance de plastique dans nos vies. Ce projet constitue indéniablement un outil de communications extraordinaire. Il rappelle aussi que l’usage de la technologie est certainement utile pour pallier cette négligence dans la gestion des déchets partout dans le monde. Pendant que The Ocean Cleanup continue de voguer au cœur de la marée de plastique dans le gyre du Pacifique Nord, nous pouvons continuer à faire notre part et encourager nos proches, notre voisinage, notre municipalité à poser des gestes concrets pour réduire la production de plastique à usage unique, à commencer par en réduire la consommation d’abord et avant tout.


Texte : Catherine Lefebvre

Photos : Guillaume Beaudoin

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