Sépaq - L’Auberge de montagne des Chic-Chocs

Gaspésie, un après-midi de juillet. À bord d’une navette que nous partageons Mathieu, photographe, et moi avec notre petit groupe, nous entamons notre progression dans la réserve faunique de Matane. Bercée par les secousses du véhicule, j’écoute d’une oreille distraite les conversations qui se lient autour de moi, et j’observe par la fenêtre les sommets des premières montagnes que nous abordons. Tandis que nous progressons sur ce sentier abrupt et que nous gagnons en altitude, le massif des monts Chic-Chocs nous apparaît dans sa surprenante verticalité.

Dans une tentative de saisir l’étendue de ce paysage, mon regard se perd quelque part dans les montagnes lointaines, baignées dans le sfumato de la fi n de cette journée d’été. À l’avant du véhicule, tandis que l’excitation et l’appréhension sont palpables, notre guide atténue notre perte progressive de repères en nous présentant les monts qui nous entourent et en nous livrant des anecdotes bien senties sur ce massif de monts situé à l’est des Appalaches, que la langue Mìgmaq qualifi e à raison de « muraille infranchissable ».

Au terme de ce périple, nous parvenons à l’Auberge de montagne des Chic-Chocs. Depuis 2005, cette auberge juchée à 615 mètres d’altitude au cœur de la réserve faunique de Matane accueille, pendant les saisons estivales et hivernales, des enthousiastes de plein air et des visiteurs curieux d’explorer les espaces splendides du massif des Chic-Chocs. Quelque peu désorientée, je dépose mes valises et me familiarise avec ce décor inédit qui sera, quelques jours durant, le centre névralgique de ce reportage réalisé avec le soutien de la Sépaq, la Société des établissements de plein air du Québec.

Au premier abord, le design boisé et épuré du lieu, conçu de manière à s’intégrer visuellement aux paysages alentour, indique de vastes impératifs de respect de l’environnement et d’impact minimal sur les écosystèmes qui, nous le découvrirons, guident les activités de l’Auberge dans leur ensemble.

Un peu plus tard, autour d’un premier dîner, notre guide nous apprend que la localisation de l’Auberge, la conception des sentiers – dont certains suivent la trace du passage de l’orignal – ainsi que les activités proposées en fonction des appétences et des capacités de chacun constituent autant de paramètres favorisant l’immersion en pleine nature que nous nous apprêtons à vivre.

L’attrait de ce pied-à-terre isolé dans les montagnes et tutoyant le ciel m’apparaît dès cette première soirée, tandis que je m’éloigne pour une courte promenade le long du sentier de l’Auberge. Sans trop d’efforts, je parviens à une plateforme en bois dissimulée par les arbres qui m’offre une vue vertigineuse sur le massif. Pour un instant lent et précieux, je profite de la palette brumeuse et orangée du crépuscule qui caresse les volumes du mont Nicol-Albert, comme pour adoucir ses parois abruptes, avant de l’envelopper du silence de la nuit – et je me sens un peu seule au monde.

Encore drapés de sommeil, au sortir d’une nuit courte, nous rejoignons notre guide pour une excursion matinale. Dans une quiétude seulement interrompue par le pépiement des oiseaux et le son de nos pas, nous progressons dans la forêt. Passionné et pédagogue, notre guide se livre à l’interprétation des éléments qui nous entourent. Observateur, attentif aux détails, il nous invite à constater les traces du passage de l’orignal, à identifier les plantes sauvages, tout en nous exposant les mécanismes de l’équilibre faunique et floral de la réserve et de la forêt boréale.

Alors que les premières lueurs de l’aube découvrent subtilement les silhouettes élancées des sapins et des bouleaux, je caresse du bout des doigts le duvet des fougères, contemple avec émerveillement le couvert scintillant de rosée – les feuilles délicates du quatre-temps, les baies émergentes de chicoutai, les bosquets de viorne et de catherinette.

Un parfum épicé et végétal se diffuse dans l’air chargé d’humidité et nous accompagne jusqu’au bord du lac Grand Fond, encore baigné dans la brume du matin. Nous embarquons sur nos planches à pagaies, et je me laisse glisser à la surface de l’eau. Le ciel, les arbres, jusqu’aux feuilles des arbustes de myrique baumier qui bordent le lac, se reflètent dans ce miroir délicat, à peine troublé par les ondulations de nos planches.

Notre séjour sera ponctué d’autant de moments un peu hors du temps – lorsque nous descendrons jusqu’au Canyon Mem, que nous tremperons nos pieds dans l’eau cristalline de la chute du Prince, que nous observerons un nouveau jour se lever depuis le Button de l’Est, que nous croiserons des orignaux au détour d’un chemin dans la nuit tombante. Chaque soir, rassemblés au restaurant de l’Auberge, nous faisons le bilan de nos escapades, ravis de l’engagement sans faille de notre guide et de tout le personnel à nous offrir des expériences dont la diversité nous enchante. La nuit venue, profitant d’un instant de calme après son service, le chef fait plus ample connaissance avec nous. Il nous fait part de son enthousiasme pour les produits locaux et de saison qu’il intègre avec soin à sa cuisine. Nous poursuivons nos soirées sous les étoiles, autour d’une conversation décontractée, ponctuée du bruit blanc de la chute Hélène qui tapisse le silence aussi bien que les mots.

Sans l’ombre d’un doute, chacun peut vivre ici un séjour à la mesure de ses attentes – ou comme moi, qui n’avais pas d’idée précise de ce qui m’attendait, se laisser progressivement surprendre et séduire par l’expérience. Je garde tout près du cœur certains instants et certaines sensations de mon passage dans les Chic-Chocs. Des embruns rafraîchissants de la majestueuse chute Hélène sur mon visage après une randonnée dans la vallée du Bascon. Du vent chaud d’un soir passé sur le sommet de l’Épaule, le regard perdu dans le panorama montagneux. Du parfum épicé d’une feuille de thé du Labrador que je mordille en fermant les yeux comme pour n’en perdre aucun arôme. Les images de ce séjour gaspésien continuent de peupler mon esprit – et souvent je crois, je me laisserai aller, en pensée, à des voyages immobiles vers ce paradis boréal que j’espère retrouver un jour.

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