Skate

ACCORDS AU FÉMININ

Des rêves et des envies, nous en nourrissons tous, en quantité. Il y a les plus faciles à mettre en œuvre et les plus périlleux. Des éléments extérieurs, matériels, peuvent être les freins qui nous empêchent de pleinement les mener à bien; d’autres fois, nous pouvons nous-mêmes représenter le frein. Nous érigeons des barrières invisibles et nous abreuvons de croyances limitantes.

Tenez, prenez le skate par exemple. Pratiqué dès la fin des années 50 par les surfeurs californiens en mal de bonnes vagues, il est, à la base, l’un des sports les plus spontanés. Aucune contrainte en matière de binôme ni en ce qui concerne l’équipement. Il vous suffit d’avoir une board, de vous tenir dessus, de rouler et, selon votre dextérité, de réaliser des tricks (figures). Et voilà! Simple comme bonjour.

Enfin… en théorie.

Parce que si vous prenez le temps d’observer un skatepark ou n’importe quel spot de skate, vous apercevrez une constante. Une constante qui a traversé les années. Les filles sont 90 % du temps absentes.

« Garçons », c’est d’ailleurs la première image qui vient à l’esprit de la plupart des gens quand on leur parle de ce sport. C’est l’image, car trop souvent c’est la réalité : un groupe de garçons s’entraînant sans relâche à réaliser des figures aussi intrépides que techniques.

Pour autant, les filles ne sont pas explicitement interdites. Mais « l’interdiction » collective s’est érigée elle-même en réponse à des injonctions sociétales. Tomber, se faire mal, s’entêter, faire preuve de spontanéité sont rarement des termes qu’on valorise et qu’on accorde au féminin.

Alors, quand on est une fille et qu’on veut s’essayer au skate, on fait quoi? Comment on commence? Comment on s’améliore?

C’est à cette problématique que Sophie Berthollet a souhaité répondre quand elle a cofondé l’Association Realaxe à Paris, il y a de ça près de six ans. Une association qui entend démocratiser la pratique du skate au féminin.

Alors bien sûr l’appréhension, la peur du débutant, les qu’en-dira-t-on font partie du lot pour tout néophyte, peu importe la discipline. Mais dans un sport où l’image a été sans relâche associée à celle de jeunes garçons rebelles, il est encore plus compliqué de concevoir que l’on a sa place. Et pourtant…

Aussi, chaque semaine l’Association propose différents créneaux de cours et de pratique libre encadrée à ses adhérentes. L’occasion de goûter aux joies que procure le skate, sans gêne.

Mais la mission ne s’arrête pas là. Les non-membres peuvent elles aussi venir expérimenter ces sensations de glisse lors de « girl sessions » mensuelles partout en Île-de-France. Elles sont ouvertes à toutes, mais aussi à… tous! Car le but ici n’est pas de continuer à creuser un quelconque fossé, en séparant les genres, mais de créer en priorité un cadre bienveillant et rassurant pour la pratique féminine. Parce que, lorsque l’obsession devient trop forte et que se lancer devient une évidence, il est bon de pouvoir compter sur une communauté.

ENSEMBLE ON VA PLUS LOIN!

Quand on s’adonne au skate, très vite, des bruits, que l’on avait vaguement entendus çà et là au gré de ses pérégrinations citadines, deviennent des sons familiers et rassurants. Les planches qui claquent, les roues qui foulent le bitume.

On peut commencer, avoir envie de faire du skate pour différentes raisons : on pratique déjà un sport de glisse (surf ou snowboard, par exemple), on a été influencée par la culture, on a des connaissances qui en font ou tout simplement parce qu’on a envie d’essayer. Au final, les sensations et les bénéfices qu’on en retirera seront tout aussi valables. Et peut-être, parce qu’on est une fille, il y a comme un air révolutionnaire quand on ride. Ça n’en est que plus intense.

Car oui, même dans une grande ville comme Paris, se balader avec une planche, c’est s’attirer quelques regards appuyés. Monter dessus, c’est en concentrer encore plus. Des comportements qui peuvent vous faire sentir ailleurs qu’à votre place. Et bien souvent, les plus troublants ne sont pas les plus méprisants ni les plus interrogateurs, mais ceux un peu trop bienveillants vous donnant la sensation d’être une petite fleur délicate qui ne devrait pas tenter ollie et consorts au risque de tomber, de se salir ou de se faire mal.

Mais avec Realaxe, pas de ça. Encadrée, certes, mais avec un espace suffisant pour exprimer qui on est, peu importe son âge ou bien son style.

Team baggy ou bien legging. Team all black ou bien couleurs. Pas besoin de se comporter comme on imagine que les autres souhaiteraient que l’on soit. On vient comme on est. Girl Power oui, mais sans les clichés.

Et on se prend au jeu, car au final il ne s’agit que de ça : s’amuser. S’amuser et participer à redéfinir l’image du « skateur ».

À mesure qu’on fait défiler le paysage, peu importe à quelle vitesse, et que le vent nous caresse le visage, on s’approprie l’espace urbain. Ce n’est pas qu’une révolution personnelle, mais bien collective : les filles, en communauté, en sororité presque, occupent l’espace. Sans compétition ni pression. Juste pour le goût de la liberté.

Une liberté physique, déjà. Se tenir debout sur une planche en bois montée sur des roues, être à l’aise, avancer, c’est savourer une sensation assez inouïe. Une sensation à laquelle on devient vite accroc.

Mais c’est aussi une liberté qui touche au mental.

Se déconstruire pour se mettre en mouvement

Au-delà du simple fait d’apprendre à faire des tricks, on apprend surtout à se déconstruire. À être plus souple sur nos jambes, à se projeter différemment, à anticiper autrement. On apprend à tomber également, et surtout à se relever. Toujours. Au sens propre, comme au figuré.

Répétition, répétition et encore répétition du mouvement. On apprend, on désapprend pour mieux réapprendre par la suite. On devient patience et persévérance.

Et si, depuis tout ce temps, Realaxe continue sa belle expansion, c’est parce que l’Association a su conforter les ambitions des nombreuses pratiquantes et annihiler tout sentiment d’exclusion. Elle a su montrer qu’il n’y avait pas de place à chercher ni à mériter. La place qu’il nous est destiné d’occuper a toujours été là peu importe l’époque, le genre, l’âge ou le style. Et pour pleinement le comprendre, il suffisait de monter sur une planche et de commencer à pousser.


Texte : Aurélia Abisur

Photos : Cornelus

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