Le métro de Montréal

À force d’y passer quotidiennement, on oublie de regarder le métro de Montréal. La tête baissée, les yeux rivés sur ses souliers, sur la destination, sur le chemin à faire, on ne remarque plus ses arches majestueuses, ses angles prononcés, ses espaces ouverts... Et pourtant, le métro de Montréal représente un témoin inégalé de l’histoire architecturale de la métropole, doublement récompensé, d’abord en 1967 par la Fondation Massey puis, en 1977, par l’American Institute of Architects.

Le métro de Montréal est né dans l’effervescence créatrice qui a marqué la ville, à l’aube des années 1960. Élu maire cette même année, Jean Drapeau avait fait du métro une promesse électorale. Il s’engage ensuite à le réaliser rapidement en vue d’Expo 67 et, dès le départ, la tendance est claire : le métro de Montréal sera beau et moderne ou ne sera pas. Entre alors en jeu Guy R. Legault, architecte et urbaniste au service de la Ville de 1956 à 1987. « La plupart des métros du monde sont truffés de couloirs souterrains à l’aspect caverneux et oppressant. Je me disais qu’à Montréal, il faudrait faire mieux », raconte-t-il dans son ouvrage La ville qu’on a bâtie.

Devinant l’importance de l’implication des architectes dès le début de la conception du métro, Legault réunit chez lui, rue Garnier, les architectes Jean-Paul Pothier (station Laurier), Roger d’Astous (Beaubien) Victor Prus (Mont-Royal et Bonaventure), Norman Slater (équipements standards) et Pierre Bourgeau (architecte en chef du métro) et leur demande de porter le projet avec lui. Si bien qu’en amont des premières étapes de la création du réseau, il est déjà décidé qu’un architecte différent prendra en charge chacune des stations, n’en déplaise aux recommandations de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) à qui l’on a demandé de l’aide et qui suggérait plutôt de planifier des stations quasi identiques.

Permettez que je marque un arrêt ici pour souligner l’audace qui a été mise de l’avant à l’époque pour construire ce réseau emprunté aujourd’hui par plu- sieurs centaines de milliers de passagers quotidiennement. Il y a quelque chose d’émouvant à imaginer ces gens, animés par un goût du changement et un grand esprit créatif, penser ce qui allait devenir notre métro. Je ne suis pas la seule de cet avis : la formule « une station, un architecte » a fait ses preuves et a été répétée lors des différentes phases de prolongement du métro, lesquelles sont toutes devenues, en quelque sorte, les témoins silencieux des tendances de leurs époques.

Première phase (1966-1967) : station Laurier

Architecte: Jean-Paul Pothier avec ajouts de Réal Paul en 1999

Les vingt premières stations du métro de Montréal sont inaugurées en octobre 1966. Complété au printemps suivant, ce que l’on a nommé « le réseau initial » compte 26 stations réparties sur trois lignes : la ligne orange, d’Henri-Bourassa à Bonaventure; la ligne verte, d’Atwater à Frontenac; et la ligne jaune, de Berri-de- Montigny (devenue Berri-UQAM) à Longueuil (maintenant Longueuil-Université-de-Sherbrooke). Ces stations de la première phase sont marquées par une architecture moderne, en harmonie avec leur époque de construction, où les lignes pures délimitent des espaces creusés dans le roc.

La station Laurier représente bien cette tendance avec ses quais de granit poli auxquels on accède par des passages incurvés en partie d’un rouge flamboyant. Sa sortie sur le boulevard Saint-Joseph est coiffée d’un édicule en pointe, autre particularité du réseau montréalais où des bâtiments d’entrée et de sortie ont été privilégiés, plutôt que des entrées à même le trottoir comme on en retrouve à New York, en raison du climat hivernal et des accumulations de neige.

Seconde phase (1978-1984) : station Place Saint-Henri

Architectes: Julien Hébert et Jean-Louis Lalonde

Dès le début de la seconde phase de construction du métro, il est décidé que les architectes auront désormais la tâche de choisir eux-mêmes les artistes visuels avec lesquels ils travailleront, donnant lieu à des collaborations étroites et à des créations complètement intégrées aux bâtiments qui font la signature du métro de Montréal. C’est le cas, par exemple, de la station Place-Saint-Henri où l’on retrouve une murale en brique de l’architecte Julien Hébert en hommage au roman Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy. Il faut, du reste, parcourir de long en large cette station spectaculaire où le béton, la brique brute et la brique vernissée se côtoient dans un développement tout en hauteur. Cette station de la seconde phase s’inscrit dans un courant moderniste qui s’articule autour de grands volumes et d’ouvertures où les matériaux organiques sont à l’honneur.

Lionel-Groulx

Architecte: Yves Roy

Il en va de même pour la station Lionel-Groulx. Déployée sur plusieurs niveaux entre lesquels le regard se promène librement, cette station de correspondance a originellement été inspirée par la nature et la vie. Il avait été prévu que Lionel-Groulx soit baignée par des rayons de lumière naturelle venus du plafond qui se seraient déposés en douceur sur des tuiles aux teintes électriques évoquant de loin des feuilles d’automne tombées au sol. De ce plan initial sont restées des structures de béton grandioses, qui supportent les rames qui vont dans toutes les directions.

Préfontaine

Architecte: Henri Brillon

Peut-être la plus extravagante de cette seconde phase, la station Préfontaine joue sur la lumière comme aucune autre station de la ligne verte. À l’extérieur, son édicule avec une structure en accordéon se démarque du paysage. Entièrement fenestrée, la structure guide la lumière naturelle vers l’intérieur, où les jeux d’ombres et de lumières accompagnent des panneaux de béton préfabriqué et des éléments aux couleurs de l’arc-en-ciel. Préfontaine est également la seule station à utiliser le logo du métro comme élément décoratif.

Troisième phase (1986-1988) : station Outremont

Architectes: Dupuis, Chapuis et Dubuc

En rupture avec les phases précédentes, la troisième phase de construction du métro de Montréal est devenue un véritable musée souterrain de l’architecture postmoderne. S’articulant autour de la ligne bleue, la troisième phase voit l’apparition d’ornementations ouvragées là où les stations précédentes avaient joué sur la géométrie. Sous son édicule original, la station Outremont, témoigne bien de cette tendance. Dotée d’un puits de lumière circulaire, cette station faite de blocs de verre et de terre cuite qui se marient à des formes de béton complexes est toute en incurvations. Le tout est accentué par les escaliers qui mènent au quai et se posent avec légèreté. Surmontés d’un lampadaire authentique, vestige de l’ancienne ville d’Outremont, ceux-ci tiennent plus de la promenade au parc que de l’accès au souterrain!

Quatrième phase (2007) : station de la Concorde

Architectes: Martin et Marcotte

La quatrième phase de construction du métro est résolument plus contemporaine. Comme dans les phases précédentes, le béton est à l’honneur. Cette fois, c’est plutôt son aspect lisse, élégant et très structuré qui est privilégié. À la station de la Concorde, les architectes ont créé des rangées de colonnes d’une hauteur impressionnante et ont joué avec de larges ouvertures pour créer une station magnifiée et saisissante. Ici, comme à Préfontaine, la lumière naturelle descend dans le bâtiment, ajoutant ombres et textures aux structures.

Si cet article ne présente qu’un aperçu de six stations du métro, vous aurez compris que les stations du réseau ont toutes quelque chose à offrir sur le plan architectural, sans compter qu’elles servent toutes de vitrine pour des œuvres d’art originales. Peu de grandes villes peuvent se targuer d’avoir un musée sous la terre, encore moins un musée d’art et d’architecture. À lui seul, le métro de Montréal réussit cet exploit!


Texte

Catherine Ouellet-Cummings

Photos

Martin Reisch, @safesolvent

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