Provence et terroir

La petite départementale s’enfonce entre les chênes verts touffus où le soleil perce de manière abrupte. L’effet stroboscopique de la lumière filtrante me fait fermer les yeux. Alors, l’odorat remplace la vue, et c’est soudain une explosion de senteurs qui me parvient par la fenêtre. Le thym mouillé par la rosée, l’écorce des pins dorée, les lavandes endormies et les troupeaux paisibles.

Entre les roches calcaires de la montagne Sainte-Victoire et les collines du Parc naturel régional du Luberon, les courbes s’adoucissent. Elles laissent les cultures et les forêts tapisser le sol. Ces reliefs semblent être là pour donner naissance à la vie et la protéger.

OLIVADE

Je viens chercher mon élixir de jouvence. Ce liquide vert sirupeux qui se déguste dans tous les plats, et même cru, brut sur un simple morceau de pain. L’huile d’olive a des vertus reconnues qui lui confèrent le statut de trésor. C’est l’une des richesses de la campagne provençale qui se travaille encore à la main, et c’est bien sur les petits domaines d’exploitation qu’elle prend la plus grande valeur.

Après l’été, quand, dans un dernier éclat, les paysages flamboient, les fruits du labeur sont enfin prêts à être cueillis. L’olivade peut s’étendre de septembre à février selon le résultat souhaité. Mais la plus grande effervescence autour des arbres centenaires se situe en octobre, quand l’air est encore doux et le ciel dégagé. Quelques cigales font encore acte de présence par chauvinisme, mais les nuits déjà fraîches vont leur couper le sifflet pour de longs mois.

Des voilages sont étalés sous les branches chargées, comme si on habillait la terre de drapés merveilleux pour une grande célébration. Quelques échelles pour attraper tous ces soleils, et c’est une compagnie de petites mains qui s’affairent à sélectionner une à une les olives vertes. L’occasion de réunir de bonnes âmes bénévoles pour partager les connaissances du terroir et rendre la tâche moins fastidieuse. Le dur labeur réveille les traditions, et ça discute tendrement de la vie à la ferme avec l’accent qui chante. Cette première cueillette servira de confiserie avec la mise en saumure. Des bonbons salés à croquer plus tard à l’apéritif.

Puis, quand les fruits foncent et s’attendrissent, on effectue la récolte pour la fabrication de l’huile. Les couleurs remplissent alors les tissus, vert, rouge, noir, et les cagettes débordantes partent au moulin.

DERNIERS BIJOUX

Entre vignobles et champs d’oliviers, entre lavandes et troupeaux de chèvres, les savoirs se perpétuent et suivent les saisons. Quelques ruches sont installées en bordure des plantations, et le nectar magnifié se déguste à la petite cuillère pour les gourmands.

Sur le Domaine Les Perpetus, les propriétaires ont choisi le bio et la polyculture et respectent les espèces endémiques à ce territoire. Outre le miel et l’huile d’olive, les vignes couvrent plusieurs restanques. À l’heure où les paysages en camaïeu de vert se fondent dans le caramel, les dernières grappes oubliées durant les vendanges se cachent au creux du feuillage cramoisi. Dans quelques mois, on y ramassera aussi les truffes sauvages, ces boules noires si parfumées et rares qui séduisent les plus grands gourmets. En attendant, on commence à songer à l’hiver en regardant les jours réduire comme peau de chagrin. Mais c’est aussi la période où la nuit hâtive donne une belle excuse pour retrouver assez tôt le confort du foyer. On ressort les lainages, et les premières flambées s’exaltent dans la cheminée.

Le soleil s’attarde, suspendu au-dessus du paysage tandis qu’au cœur des coteaux dégarnis, les vieux mas en pierres des viticulteurs semblent s’assoupir pour l’hiver. Et dans les prairies, les moutons et les chevaux effectuent des tâches. En direction des collines, je prête quelques regards amusés aux dessins des sentiers empruntés pendant des siècles par les fermiers et les bergers.

FROMAGE

L’après-midi, je retrouve Magali et Jérôme qui m’ouvrent les portes de leur chèvrerie au Jas des Cabres de Jouques. Les bêtes gourmandes s’agitent en me voyant arriver, espérant une friandise. Nous traînons un peu à les admirer gober l’air au bout de nos doigts, en débattant nonchalamment des plus belles heures de l’automne. Les sabots remuent la terre sèche, et les dernières lueurs s’épanouissent dans la poussière virevoltante.

Je suis la chevrière hors de la pinède. Elle m’emmène choisir mes fromages de chèvre ou plutôt l’enrobage qui fait la particularité créative de la maison. La fabrication artisanale de ces petits palets blancs, ponctuée de secrets de famille, rend leur goût unique. J’observe Magali entrer dans son atelier, vêtue de sa tenue de scène, un tablier et une charlotte sur la tête. Elle disparaît quelques secondes derrière la porte de son armoire d’affinage, puis l’air satisfait, ressurgit avec un plateau bien garni. Les balles immaculées roulent dans la chapelure aux herbes de Provence, à l’ail ou aux épices délicieuses.

Autour de moi, je regarde les chênes sans âge étendre leurs branches dans le ciel. Les lavandes ont tout donné. Elles vont bientôt affronter le mistral givré et les pluies glacées sans broncher. Patientes, elles ne refleuriront qu’à l’été.

Toute cette nature impose un grand respect. Je crois qu’il y a des lieux comme celui-ci qui bousculent les idées et inspirent toute l’âme. J’en connais qui ont plaqué boulot et appartement, envoyé balader des années de sacrifices pour retrouver le plaisir de sentir, de goûter. Le plaisir d’utiliser ses mains et de laisser parler sa sensibilité.

En quête de racines, ils se sont réconciliés avec la vie. La vraie, celle de nos vieux. La vie qui suivait le rythme du jour et de l’année. Avançant avec la joie du printemps, tempérant les ardeurs de l’été, se jouant des surprises de l’automne et acceptant la lenteur de l’hiver.

Loin des villes, les savoir-faire se chérissent dans le plus simple des bons sens. Le souvenir remplace l’incertitude, l’héritage assure la connaissance. Nous sommes des enfants de la Terre avides d’harmonie.


Texte et photos : Vanessa Martin

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