Lac Retba - La récolte de l’or blanc

Situé à près d’une quarantaine de kilomètres au nord-est de Dakar, le lac Retba est incontestablement l’un des sites les plus visités du Sénégal. Surnommée le lac Rose, cette étendue lacustre attire chaque année des centaines de visiteurs qui se trouvent envoûtés par sa teinte rosée des plus particulières. Mais le vrai trésor se cache dans ses profondeurs : les récolteurs le surnomment l’or blanc.

Dans ce lac, la concentration moyenne de sel est de 380 g par litre d’eau, un taux comparable à celui de la mer Morte, et l’eau dépasse un taux de salinité de 40 % dans certaines parties du bassin. La salinité est à la source de ce qui confère à cette merveille naturelle sa teinte rose bonbon : un type particulier de microalgue appelée Dunaliella salina. Pour survivre, elle fabrique de l’astaxanthine, un pigment rouge qui lui permet de se protéger de la forte teneur en sel de l’eau et qui prend une teinte rosée sous l’effet du vent et des rayons du soleil.

Le lac Rose est le plus grand salar du Sénégal et l’un des plus importants du nord-est de l’Afrique. On en extrait plus de 30 000 tonnes de sel de qualité chaque année. On le transforme et on l’exporte sous forme de sel iodé, notamment utilisé dans la cuisine sénégalaise. Même si le lac ne fait que trois kilomètres carrés de superficie et trois mètres de profondeur, la récolte du sel nécessite une quantité considérable d’efforts humains – une centaine de femmes et d’hommes sortent les richesses de ses basfonds manuellement. Pour les ramasseurs attirés sur ses rives par la promesse de l’or blanc, le sel est à la fois bénédiction et malédiction puisqu’il est très dur sur le corps. Néanmoins, le sel est d’une importance capitale pour ceux qui se rassemblent sur les rives du lac Retba : il représente avant tout un moyen de subsistance.

Dès les premières lueurs de l’aube, les ramasseurs de sel commencent leur rituel en préparation d’une longue et dure journée. Ils s’enduisent le corps de beurre de karité afin d’atténuer les effets très corrosifs de l’eau salée et enfilent ensuite des chaussettes montantes pour plus de protection. Ils resserrent la paille qui maintient leurs tamis ensemble. Ensuite, ils attachent leurs sandales en plastique sur leurs échasses, ce qui leur confère plus de stabilité et la capacité de garder la tête en dehors de l’eau. Ils déjeunent grâce aux femmes qui préparent un repas copieux, avant d’embarquer sur leur pirogue et de commencer leur longue journée. Elle peut durer jusqu’à huit heures.

Wasswass récolte du sel au lac Retba depuis 2016. Comme la plupart des ramasseurs d’aujourd’hui, il est venu de loin pour extraire cet or blanc dont il avait tant entendu parler depuis le Mali, son pays d’origine. L’extraction de sel au lac Retba est un processus assez remarquable et extrêmement difficile quand on prend en considération les conditions dans lesquelles ces gens doivent travailler. Sous un soleil de plomb, avec une température qui dépasse parfois les 40 degrés et l’eau qui tiédit, les ramasseurs de sel plongent au cœur de l’étendue rose munis d’un bâton en bois de 2,5 mètres, d’une pelle et de leurs échasses pour procéder à la cueillette. Immergés jusqu’au buste, ils raclent le fond de l’eau avec vigueur pour casser l’épaisse croûte de sel qui est ensuite extraite des profondeurs.

Au départ, elle arbore plutôt une couleur grise à cause de l’argile qu’on trouve aussi dans le sol, mais les petits cristaux retrouveront leur couleur blanche naturelle au fur et à mesure qu’ils sécheront sous le soleil. Le sel séchera ainsi quelques jours avant d’être vendu. Utilisant toutes leurs énergies, les travailleurs remontent près de 20 kg de sel jusqu’à la surface à chaque remontée, puis déversent leur récolte dans leur pirogue. Ils répètent les mêmes mouvements, telle une chorégraphie, sans répit, jusqu’à ce que leur pirogue soit remplie, voire presque engloutie sous son butin. Puis ils retournent enfin sur les rives pour se rincer à l’eau douce et commencer le déchargement.

Autour du lac, les rôles sont méthodiquement répartis. Une fois retournés sur la berge, les cueilleurs passent le relais aux femmes. Alors que la récolte est réservée aux hommes – la forte salinité pouvant blesser les organes génitaux des femmes et provoquer des fausses couches – ce sont elles qui prennent la relève pour décharger le précieux sel et commencer par débarrasser les impuretés à la main. Les femmes transportent des bassines remplies de sel pesant jusqu’à 30 kg sur leur tête, utilisant un foulard enroulé en forme de coussin pour amortir le poids. Pour Mariama, cette tâche s’accomplit avec une charge supplémentaire : son fils attaché sur son dos. Un petit surplus qui, d’un regard extérieur, ne semble faire aucune différence pour elle.

De son côté, Dada travaille en équipe avec Faa, son mari récolteur. Elle passe l’après-midi à faire des tas de sel le long des rives. Elle accumule des coquillages pour indiquer le nombre d’allers-retours effectués en une journée afin d’être payés correctement (environ 0,04 centime d’euro par trajet). Ainsi se créent des montagnes scintillantes qui reprennent doucement la teinte naturelle du lac Rose grâce à la lueur orangée du soleil couchant.

Malheureusement, l’avenir du lac Rose n’est pas assuré. À partir d’avril 2022, une combinaison de fortes pluies et de ruissellements des villes avoisinantes qui se sont déversés dans le lac a provoqué des inondations et une montée du niveau de l’eau. Elle a désormais perdu sa couleur rose enchanteresse. La dégradation du lac a porté un coup dur aux professionnels du tourisme et à la récolte de l’or blanc, qui a besoin de conditions optimales pour être extrait. Cette situation risque même de s’aggraver avec l’hivernage pointant le bout de son nez.

Malgré cela, l’espoir que le lac Retba retrouve un jour sa gloire rosâtre vit à travers les récolteurs de sel, qui ne s’attendaient même pas à être appelés sur ses rives cette année. « Le lac, c’est une famille », explique Maguette Ndiour, président de la Coopérative des exploitants de sel du lac Rose. Sous la direction de M. Ndiour, de nouvelles politiques environnementales sont maintenant mises en place pour permettre de protéger ce patrimoine emblématique du Sénégal. Mais malgré ces aléas, une certitude demeure : l’âme rose du lac Retba persiste, ne serait-ce qu’à travers les buissons fleuris des bougainvilliers qui le longent, les vestiges d’algues roses toujours présents après les inondations et, par-dessus tout, l’esprit chaleureux du peuple sénégalais qui brille de mille feux roses sur ses rives.

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