La biscuiterie

Je m’en souviens comme si c’était hier. Dès mes premiers pas dans ce hameau pittoresque de montagne, celui qui allait devenir mon chez-moi, la délicieuse odeur gourmande envahit tous mes sens. Comme guidée par un fil invisible, je suis ces effluves sucrés jusqu’à la porte de cette boutique à l’enseigne colorée et rétro. Ma curiosité piquée à vif, je me décide à pousser la porte de cette maison devenue mythique depuis sa création en 1991.

La clochette retentit et annonce mon entrée. À l’intérieur, tout est calme. J’ai l’impression d’avoir 10 ans et de rentrer dans une boutique de bonbons avec ma naïveté d’antan et mes quelques sous en poche donnés par ma grand-mère. Tout ici semble avoir été suspendu dans le temps. De beaux meubles en bois, un sol carrelé d’un damier rouge et blanc rappelant un plateau d’échec, un ancien laminoir et, sur les étagères, les fameux biscuits de Trizac. Corinne Raynal, adorable patronne des lieux, et son associée, Stéphanie Hautier, m’accueillent à la sortie des fourneaux, me laissant deviner derrière la porte l’endroit où tout se passe. Comme dans l’usine de bonbons et de chocolats de Charlie, les petites mains s’affairent à fabriquer ces croquants et carrés d’Auvergne largement réputés. Et de cette cuisine secrète, la délicate odeur qui m’a portée jusque-là s’échappe. Puis l’on croque enfin dans ce morceau tendu par la pâtissière, et la magie opère.

À en croire les habitants, toutes les courses au village finissent forcément avec une boîte de biscuits sous le bras. Et en y regardant de plus près, je crois même avoir toujours vu quelques-uns de ces biscuits chez mes voisins, comme s’ils faisaient partie intégrante du garde-manger. Et je ne fais pas exception à la règle. Alors, j’y reviens. Semaine après semaine, mois après mois, dès que les stocks sont au plus bas. Et puis un jour, j’assiste à la fabrication. Je rencontre alors Louis, 29 ans, fils de M. et Mme Raynal, revenu dans sa région d’origine pour mettre la main à la pâte. C’est donc désormais à quatre, Louis, Corinne, Stéphanie et un jeune salarié, qu’ils fabriquent tous les matins, du chant du coq à la pause dîner, croquants et carrés d’Auvergne. Comme une danse millimétrée apprise par cœur, la confection des biscuits artisanaux se joue devant moi, de la préparation de la pâte jusqu’à l’empaquetage dans les boîtes au charme nostalgique que j’aime tant. Les gestes pratiqués par les parents Raynal, et les grands-parents avant eux, sont effectués dans un ordre bien précis.

Il y a d’abord la pâte, façonnée avec patience par Louis et laissée au frigo toute la nuit. Des œufs par dizaines et de la farine par kilo, pétris par l’énorme robot pâtissier, sentinelle des lieux. Le lendemain matin, quand le village commence à se réveiller, les rideaux de la cuisine s’ouvrent et l’équipe se met au travail. Depuis quelques années déjà, l’imposante rotative à biscuits est devenue un personnage à part entière de l’équipe. La pâte crue lui est donnée à manger, comme un animal insatiable, pour ressortir parfaitement aplatie et moulée en formes originales et amusantes. Cœurs, étoiles, losanges, piques ou encore trèfles, ces croquants rappellent alors les jeux de cartes à l’ancienne. Et, comme dans un jeu de hasard, je plonge ma main dans le paquet espérant obtenir la forme que je n’ai pas encore goûtée. La saveur sera pourtant la même que celle du précédent, mais ma gourmandise me dit de réessayer, comme une gamine, juste au cas où...

Puis c’est au tour de l’immense four de rentrer dans la danse. Il ouvre largement ses portes pour engloutir les chariots remplis de biscuits prêts à dorer. Tournant comme dans un manège, je vois la pâte changer peu à peu de couleur, et la faim me gagne. L’alarme retentit, la cuisson est terminée. Le parfum enivrant du beurre déferle à l’ouverture du four. Toute la cuisine se retrouve alors enveloppée de ces arômes qui continuent de s’étendre jusque dans la rue par les fenêtres ouvertes. Quelques habitués s’arrêtent pour dire bonjour. Je les soupçonne de profiter quelques minutes des effluves savoureux. Quant aux oiseaux attendant devant, ils sont les mieux nourris de France, saisissant à la volée les miettes de biscuits époussetées dehors.

Le lendemain, ce sera le tour des carrés d’Auvergne, spécialité de la région, mais dont les meilleurs se trouvent assurément ici. Leur forme, dentelée sur les bords rappelant les petits beurres Lu, nous replonge toujours plus dans l’enfance. Une fois moulés, ils bénéficieront d’une dorure spéciale avant leur passage au four. Leur goût, plus caramélisé et délicat que leurs semblables, nous donnent envie de remplacer chaque repas de la journée par un goûter accompagné d’un verre de lait ou d’une tasse de thé.

Dans ce tournoiement créatif, couleurs, formes et mouvements s’entremêlent, et chacun sait ce qu’il doit faire. Rien ne semble avoir changé. Pourtant, Louis souhaite aujourd’hui amener un nouveau regard plus actuel sur cette entreprise artisanale et familiale. « C’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures confitures », dit-on. Et il est vrai que ces recettes ancestrales ne méritent aucun changement. Du sucre, du beurre, de la farine, des œufs, un peu de vanille, une pincée de sel et du savoir-faire. Voilà qui suffit à ces artisans pour créer ces délices.

Alors la volonté du changement se fait intelligente, plus discrète et en adéquation avec notre temps. C’est d’abord dans l’origine de ces matières premières que la famille souhaite opérer quelques évolutions, en les choisissant au plus proche du Parc naturel régional des Volcans d’Auvergne, même si tout vient déjà de France. Logo, emballage ou encore mise en avant sur Internet semblent être les prochaines modifications qui redonneront un petit coup de jeune, juste ce qu’il faut, à ce commerce qui n’a pourtant plus rien à prouver. Alors si vous passez à Trizac, poussez la porte de la Biscuiterie Raynal-Hautier! Croquez dans ces gâteaux enchanteurs au bon goût d’Auvergne et, surtout, laissez-en un peu aux autres!


TEXTE ET PHOTOS : JULIA LAFAILLE

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