Huitlacoche

RICHESSE MÉCONNUE

Les gouttes qui ruisselaient d’abord sur mon front coulent maintenant sans fin dans mon cou, le long de mon dos. De la buée plein les lunettes, c’est avec pour seul guide les lueurs incertaines du ciel tempétueux que je cherche et cherche. Je me sens telle une enfant, toute petite, tassant les immenses plants de maïs pour me frayer un chemin jusqu’aux trésors dissimulés à travers le vaste labyrinthe végétal.

Certains nous trouveraient un peu fous de braver la pluie battante pour partir en quête de champignons éparpillés dans un labyrinthe de maïs. Mais l’idée de mettre la main sur des spécimens bien frais de huitlacoche, ou « truffe mexicaine », est irrésistible. Ce mystérieux délice, un incontournable de la bouffe de rue et des grandes tablées au Mexique, est pourtant encore bien méconnu ici, où il est souvent perçu comme un déchet nuisible à la production du maïs.

Nous sommes accompagnés de Maurín Arellano, cheffe traiteure à la Centrale culinaire. Native du Mexique, la jeune cheffe est venue au Canada il y a environ 23 ans. Elle s’est installée au Québec une quinzaine d’années plus tard, après avoir été charmée par l’ouverture des gens d’ici. Son objectif? Mettre de l’avant la véritable cuisine mexicaine en utilisant principalement des produits de petits agriculteurs locaux, mais aussi faire découvrir des aliments méconnus, comme le cactus, les tomatillos et les insectes. Faisant face à un marché de la restauration quasi saturé, elle s’est plutôt tournée vers l’ouverture d’un service de traiteur et l’organisation d’ateliers de cuisine, de dégustations et de restaurants éphémères.

UN TRÉSOR MÉCONNU

Souvent appelé « caviar aztèque » ou « truffe du maïs », le huitlacoche est un champignon parasite qui pousse sur le maïs biologique. On le reconnaît à sa forme irrégulière, enflée. Jeunes, les fructifications sont fragiles, lisses et brillantes, allant de blanchâtre à gris argenté, avec un intérieur noir et juteux. Avant de libérer ses spores, le champignon devient entièrement noirâtre, sec et poudreux. Pour bon nombre d’agriculteurs d’ici, qui lui ont donné le surnom péjoratif de « charbon du maïs », le huitlacoche est un fléau, une maladie qui peut entraîner la perte d’une précieuse partie des récoltes. Des quantités incroyables d’épis parasités sont ainsi mises aux ordures chaque année. D’autres agriculteurs, pourtant, inoculent leur plantation de maïs avec des spores, espérant parvenir à une production commerciale de cette rare gourmandise – une pratique qui est déjà courante au Mexique. Bien que le champignon soit bien connu dans la terre des Dieux, il est tout de même considéré comme un aliment de luxe, un trésor très recherché par les chefs. C’est de son caractère saisonnier et de sa quantité très limitée que provient sa rareté.

Le huitlacoche est un délice que Maurín a connu pendant son enfance au Mexique. Même si l’or noir mexicain gagne lentement en popularité au Québec, la cheffe a vite remarqué que ce produit gourmand était encore largement méconnu et gaspillé. Rapidement devenue une référence en la matière, elle déploie tous ses efforts pour faire connaître ce secret bien gardé. Dans le cadre de restaurants éphémères, elle permet aux épicuriens et aux curieux de goûter plusieurs déclinaisons de l’étrange champignon. En plus de mets typiquement mexicains, la jeune cheffe signe des plats d’inspiration française, comme des crêpes farcies, et même des desserts. Sa crème glacée au huitlacoche, d’une couleur gris quasi noir et servie avec des champignons caramélisés au sirop d’érable, sait conquérir même les plus perplexes. Mais son implication va au-delà de la gastronomie : depuis plusieurs années, elle épaule des fermiers de la région montréalaise pour que le huitlacoche soit valorisé et cuisiné, voire commercialisé. Aujourd’hui, Maurín poursuit cette mission en nous invitant dans son univers.

QUÊTE

Oubliant presque la pluie glaciale qui ne semble pas vouloir cesser, nous cherchons des épis qui paraissent un peu ouverts, avec une touche de gris bleu dépassant timidement. Maurín s’arrête parmi les silhouettes imposantes qui battent au vent et cueille un épi. Elle écarte délicatement les feuilles de l’enveloppe fibreuse pour révéler le champignon parasite qui y a trouvé logis. Une fois notre panier bien plein, nous nous rejoignons à l’entrée du labyrinthe pour examiner et comparer nos trouvailles avant de nous réfugier dans une grange.

Pendant que nous essayons de nous réchauffer en troquant nos manteaux détrempés pour un verre de vin, Maurín est déjà à la tâche. En plus du huitlacoche, nous avons des tomatillos fraîchement cueillis et quelques ingrédients tout simples.

Maurín nous réserve un mets de sa terre natale mettant en valeur, d’un naturel inouï, la saveur des aliments : des quesadillas. Elle trie les champignons que nous avons dénichés, sélectionne les plus fermes, puis les hache grossièrement avant de les ajouter aux oignons suant dans la poêle. Les morceaux tournent lentement au noir au fil de la cuisson pendant que Maurín prépare une salsa verde pour accompagner notre repas. Elle assemble ensuite les quesadillas directement dans le poêlon et ajoute quelques champignons caramélisés nappés de salsa et d’une généreuse poignée de fromage blanc doux. Elle nous tend, un à un, une quesadilla bien chaude. Trop pressés d’y goûter, nous mangeons debout, laissant le jus de cuisson couler entre nos doigts, tandis que nous portons les tortillas à la fois tendres et croustillantes à nos lèvres.

MOCHE, MAIS DÉLICIEUX

Je goûte l’étrange champignon. Je détecte le parfum sucré et laiteux du maïs, couplé à de fortes notes terreuses. Il y a aussi un petit côté fumé et caramélisé qui rappelle celui du cacao. Le mélange de flaveurs est subtil, délicat. Maurín nous explique qu’il faut éviter les aliments au goût trop prononcé, comme l’ail. L’idée, c’est de rehausser les arômes subtils, sans jamais les écraser avec des saveurs trop fortes. Elle nous raconte également que le maïs d’ici est beaucoup plus sucré qu’au Mexique, ce qui influence le goût du champignon. Ce dernier se marie naturellement aux grains de maïs bien frais et aux légumes sucrés, comme la patate douce et la fleur de courgette. Mais sa saveur caramélisée et terreuse crée aussi un contraste intéressant avec les produits crémeux, comme le lait de coco, le beurre, le yogourt et le fromage.

***

Avec les quelques spécimens que j’ai rapportés de mon périple, j’opte pour une recette toute simple en m’inspirant de la cuisine fraîche et saisonnière de Maurín. Les tortillas maison qui grillent lentement dans la poêle remplissent mon logement d’une douce odeur de maïs. Dehors, la pluie tombe encore, emportant avec elle quelques feuilles colorées.


Texte : Ariane Bilodeau

Photos : Mathieu Lachapelle

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