Gudon

Gudon la magique. Cachée au creux des montagnes italiennes, elle fait courir aléatoirement ses rues étroites et sinueuses sur les flancs gazonnés de la vallée de l’Isarco. La pierre brute des vieilles maisons, les charpentes de bois millénaires et les chalets triangulaires nous rappellent que nous sommes aux frontières de la Suisse.

À peine entré dans ce minuscule village de la campagne italienne, on jurerait que le temps s’y est arrêté. Une fenêtre s’ouvre sur une autre vie, un autre siècle. À Gudon, les voitures sont rares, et les gens discrets. Moins de 500 habitants vivent ici et avec un peu de chance, on peut en croiser quelques-uns de temps à autre : un vieil homme qui promène son chien, une dame qui fait soigneusement sécher son linge sur le garde-fou...

Ici, la lumière est reine; elle baigne tout ce qui vit de ses rayons chauds. La végétation pousse, à la fois docile et sauvage, parmi les vestiges du Moyen-Âge. L’abondance naturelle est telle que l’utilité du seul petit marché du village semble complètement accessoire. Fruits et légumes poussent à foison partout sur les vallons, que ce soit par la volonté humaine ou tout simplement parce que c’est la place que la nature leur a réservée. Peu importe où l’on attarde son regard, on découvre quelques merveilles miraculeuses à se mettre sous la dent. Pommes, poires, prunes et figues mûries à point pendent nonchalamment de leurs branches garnies. Le raisin s’agrippe aux palissades rocheuses et au fer forgé, tandis que les buissons qui m’accompagnent le long du chemin sont bondés de framboises rouges et gorgées de jus. Derrière les murets de pierre bordant les maisonnettes, des potagers fraîchement arrosés proposent choux-fleurs, courgettes, tomates et pois sucrés accrochés à leurs tiges frisées comme des guirlandes. Et il y a les fleurs. Des roses de toutes les couleurs ornent avec fierté les nombreuses statuettes religieuses, et les géraniums roses et rouges égaient toutes les fenêtres du village. L’ambiance est imperturbable, seul le chant des ci-gales résonne tout autour. C’est tout. Je tends l’oreille plus loin, mais rien. Tous les chemins finissent par se jeter dans l’immensité du paysage tout en bas, comme une chute se déverse dans le vide.

Les sept coups du clocher m’indiquent solennellement qu’il est dix-neuf heures et que je suis bel et bien ailleurs. Ailleurs dans le monde, ailleurs dans le temps. À Gudon, toutes les époques cohabitent en harmonie. Les granges centenaires sont encore, pour la plupart, fonctionnelles et arborent une panoplie de vieux outils de ferme en fer rouillé accrochés sur leurs murs extérieurs. Puis il y a le château Schloss Summersberg datant du 14e siècle – duquel j’espère désespérément voir s’échapper un spectre la nuit venue – qui se dévoile timidement derrière les hautes palissades en ruines qui l’entourent. Des fontaines avec de grands bassins en pierre offrent un filet d’eau des montagnes à quiconque aurait envie de s’y désaltérer. Au loin se dessinent les sommets gris et acérés des Dolomites, alors que le bleu du ciel se couvre exceptionnellement de nuages, tout à coup.

Comme pour me montrer son dernier spectacle, son plus bel habit, Gudon s’abandonne à un orage. Je le devine rare et j’en savoure chaque instant, assise sur le bord de la fenêtre ouverte. Chaque éclair, chaque coup de tonnerre me font la sérénade. Des nuages de brume s’élèvent du sol et se suspendent dans la vallée, me donnant l’impression d’être à des kilomètres d’altitude. La pluie dégoulinant des toits en tuiles de terre cuite s’amoncelle dans les gouttières et vient se jeter au sol, au grand plaisir des chats qui ont soif. Puis, en guise d’au revoir, Gudon, baignée des derniers rayons du jour, les plus dorés, se pare d’un arc-en-ciel parfait, alors que je parcours ses rues pour une dernière promenade avant la tombée de la nuit.


Texte

Hélène Mallette

Photos

Mathieu Lachapelle

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