Pêche blanche

Nous quittons la petite cantine de Rivière-Éternité pour partir en direction de la ville de La Baie, bordée par le fjord du Saguenay. La route 170 nous mène à travers les forêts enneigées, jusqu’à surplomber la baie des Ha! Ha!. Puis, plus bas, le bras de la rivière Saguenay nous accueille avec son habit d’hiver : une épaisse couche de glace au-dessus de laquelle plane une brume hivernale.

Nous laissons enfin derrière nous la terre ferme et nous nous aventurons sur la route tracée au milieu de l’étendue de glace pour rejoindre le village de pêcheurs qui se dessine devant nous. Nous enfilons nos tuques, nos manteaux chauds et nos chaussures de randonnée avant de sortir de la voiture. Puis nos regards se croisent dans un sentiment d’excitation et de crainte : sommes-nous assez couverts? La glace est-elle assez épaisse? Un froid mordant nous attend en dehors de l’habitacle, un froid de février, un froid presque moqueur qui souffle au tableau de bord la température extérieure. Moins 25 degrés Celsius.

L’air glacial nous agrippe et fige les seules parties découvertes de notre visage. Le vent nous balaie et nous déplace contre notre gré. Malgré tout, nous avançons, bravant les éléments d’un pas léger, par crainte de fendre le sol gelé.

Au milieu du lac, le temps semble suspendu alors que des cabanes paraissent flotter sur un épais nuage de brouillard. Sous nos pieds, la couche de glace d’un mètre vingt a pris une couleur bleu azur, synonyme de solidité. Ainsi, la quiétude nous gagne, et nous nous préparons tranquillement à nous ouvrir à la beauté d’un paysage inusité. Le vent finit par se calmer, puis le brouillard se dissipe enfin pour laisser apparaître sous nos yeux un nouveau monde, comme par magie. Des allées de cabanes de pêche, toutes différentes, s’unissent pour former un village éphémère. Un vrai village avec des panneaux de signalisation, des stationnements, des arrêts et des passages réservés aux piétons, car les riverains se déplacent en Ski-Doo et en pick-up. Nous étions presque déçus de ne pas croiser de dépanneur à chaque coin de rue comme dans une grande ville!

La pêche blanche est plus qu’un simple moment de convivialité. C’est un véritable échange entre l’humain et la nature, qui tient sur un équilibre climatique fragile. Encore plus qu’une tradition, c’est une réelle passion animant les pêcheurs sur glace qui affrontent des conditions hasardeuses pour la pratique de ce sport extrême. Ici, les femmes et les hommes s’en remettent aux éléments, en proie aux risques et aux dangers de la nature, tout en gardant une confiance absolue en elle et en ses signaux. Dans ces conditions, ils n’ont pas le droit à l’erreur et se doivent de respecter cette force beaucoup plus puissante qu’eux.


Texte

Basile Le Clerc de Bussy

Photos

Tristan Pereira

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