Fête féroce

Célébrer le carnaval de Calabar, Nigeria

C’est un spectacle de folie qui s’offre à la nuit. Des danseurs voltigent dans un émoi de couleurs kaléidoscopiques. Leurs corps pulsent au rythme de sons envoûtants qui gonflent l’air d’énergie. Leurs costumes méticuleusement brodés de mille motifs et ornements naturels carillonnent et hypnotisent les badauds. Bienvenue dans la plus grande fête de rue du continent africain, le Carnaval de Calabar dans le sud-est du Nigeria.

Durant tout le mois de décembre, cette célébration massive transforme la ville en un eldorado extatique de danse et de musique. Le Nigeria possède l’une des plus grandes populations de jeunes au monde, et durant le carnaval, les rues de Calabar sont prises d’assaut par cette jeunesse électrisée, aux côtés d’une faune multiculturelle et multigénérationnelle. Calabar rayonne, rugit et affiche ses couleurs, à l’image de sa diversité ethnique : le Nigeria est une fédération de 36 États autonomes et d’une capitale fédérale, tous culturellement singuliers. La programmation plurielle fait place aux danses traditionnelles, aux costumes, à la musique, aux parades, et même aux expositions de voitures et de motos. Ce sont des milliers — voire près d’un million — de personnes des quatre coins du pays et du monde (environ 3 % des visiteurs) qui se joignent aux festivités enivrantes dans les rues de Calabar, où chaque tournant recèle des surprises.

Le point culminant du festival, c’est la grande mascarade traditionnelle, inspirée par les esprits locaux. Cette parade de plusieurs kilomètres défile à travers la ville et apporte un bon augure aux Nigérians. De jour, des équipes composées de centaines de danseurs et de performeurs déploient leurs numéros flamboyants pour impressionner les juges : un seul groupe sera élu grand champion du carnaval. Mais une fois la nuit tombée, la bonhomie fait place à un éventail d’émotions troubles. Les performeurs joyeux côtoient d’inquiétants personnages. Les danseurs costumés se précipitent sur les spectateurs, les terrifiant de leur masque grimaçant ou d’une chorégraphie exaltée. La foule veut se rapprocher de ces incontrôlables créatures, pourchassant l’effroi pour s’abreuver d’extase. La danse durera des heures : certains tomberont de fatigue tant la fièvre de la danse les emportera. La mascarade libère les esprits, tant spirituels que terrestres. L’un des groupes qui paradent met en scène son identité queer, expression manifeste de l’aura de liberté qui règne sur la ville, dans un pays qui ne tolère pas toujours cette différence.

Depuis 15 ans, le Carnaval de Calabar a pour mission de décloisonner la richesse culturelle du pays, trop longtemps reléguée au deuxième plan par ses activités pétrolières dominantes. Il faut savoir que l’économie du Nigeria repose principalement sur ses ressources naturelles; son statut du plus grand exportateur de pétrole d’Afrique le positionne comme l’une des puissances clés du continent. Cependant, le passé récent de dictature militaire et la corruption omniprésente font du Nigeria un géant criblé d’inégalités. Pour faire un pied de nez à ces difficultés socioéconomiques, l’ancien gouverneur de l’État de Cross River, Donald Duke, a nourri la vision de transformer Calabar, alors considérée comme l’une des villes les plus propres, vertes et accueillantes du pays, en un centre névralgique du tourisme nigérian. Le carnaval est ainsi né.

Chaque année, un thème différent est à l’honneur : migration, changements climatiques et africanisme (capturé en 2018 pour ce reportage) — une ode à l’histoire du continent, à sa diaspora et aux traditions qui les unit. Chaque thème est raconté sous forme de comédie musicale qui évolue d’une performance à l’autre : « Le carnaval est un théâtre ambulant qui raconte notre histoire. Le thème de 2019, humanité, permet aux habitants de Calabar de souligner l’importance de notre interconnexion et de célébrer ce qui nous rend humains. Nous sommes une communauté de visages souriants! », explique le président du festival, Gabe Onah. Et pour cause, l’acronyme de Calabar, « Come And Live And Be At Rest » (venez, vivez et soyez en paix) témoigne de l’hospitalité que la ville cultive comme trait distinctif.

La rumeur veut que le financement s’essouffle. La chute du prix du pétrole a fait flancher le PIB du pays, affectant le financement d’activités culturelles telles que le carnaval. Mais la fierté de Calabar ne saurait dérougir de sitôt : le festival s’impose comme une nouvelle tradition inébranlable qui défie les aléas du pays et qui génère des retombées économiques significatives. Pour Gabe Onah, le carnaval permettra de « changer l’histoire pour les générations à venir ». De toute évidence, cette fête de Noël s’est transformée en l’un des plus grands festivals d’Afrique. Le Carnaval de Calabar est un trésor caché qui se révèle aux voyageurs intrépides, une expérience spectaculaire, à l’image d’une communauté visionnaire.


Texte

Catherine Martel

Photos

Bénédicte Kurzen et Sanne De Wilde / Noor

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