Artichaut
Il y a quelques années, je trouvais mon amie Sophie si étrange de grignoter feuille d’artichaut après feuille d’artichaut avec une petite mayo pendant l’heure du lunch au bureau. Ça semblait si dur, si fibreux en comparaison avec les cœurs fondants, huileux et vinaigrés vendus en bocaux au marché. L’artichaut frais était inconnu pour moi, un légume resté auréolé de mystère malgré maintes années d’exploration culinaire. Alors quoi de mieux pour l’apprivoiser que d’aller le cueillir moi-même? Quoi de mieux pour briser la glace que de le voir à son état le plus naturel, le moins changé par les longs circuits de commercialisation?
Mon ami Pierre et moi nous dirigeons vers la ferme La Fille du Roy, tout près de Saint-Hyacinthe en Montérégie, pour découvrir leurs plantations d’artichauts. Sous un ciel sans nuages, nous explorons le site et le champ de citrouilles et courges, sans oublier de humer les fragrantes pâtisseries maison. Si occupés à profiter de la vie, nous ne voyons pas le temps passer – ça arrive souvent quand la journée est trop belle, trop parfaite. C’est pourquoi nous arrivons un tantinet plus tard que prévu au champ pour commencer notre autocueillette. Cependant, avoir l’artichautière de près d’un hectare à nous seuls et cueillir sous le soleil couchant, c’est assez cool aussi.
Je dois avouer ne pas trop savoir à quoi m’attendre, ou à quoi peut bien ressembler un plant d’artichaut. Un premier coup d’œil révèle un champ entièrement composé de nuances de vert. Mais c’est en m’approchant que je remarque toutes les subtilités de l’artichautière – du feuillage dentelé vert profond aux larges tiges chargées d’immenses chardons, en passant par les incroyables fleurs grosses comme ma main. Les pétales violets captent les lueurs du soleil couchant, offrant un spectacle d’une beauté insolite. Nous sommes si absorbés que nous ne remarquons pas la noirceur qui commence à s’installer, et pourtant il nous reste encore à trouver et cueillir les sept plus beaux artichauts.
CULTURE
La culture de l’artichaut (qui préfère les climats chauds ou tempérés) est peu commune au Québec en raison de nos hivers féroces. Il est cultivé ici comme une plante annuelle, tandis que d’autres pays au climat plus doux peuvent profiter de sa nature vivace. La culture n’est pas aussi laborieuse que sa marginalité pourrait laisser croire; il faut surtout garder en tête que les plants sont sensibles aux gelées et aux excès d’humidité, qui peuvent donner lieu à des maladies fongiques. Au Québec, l’artichaut est habituellement semé en serre au mois de mars, puis transplanté en mai. Chaque plant peut atteindre trois pieds de hauteur et produire jusqu’à quinze artichauts. La récolte se fait avant la floraison – alors que le capitule est encore jeune et ferme – de la mi-août jusqu’au gel du sol.
Nous sommes naturellement attirés par les plus imposants artichauts, mais tâchons de garder à l’esprit les paroles de la propriétaire de l’artichautière, qui insistait sur le fait que plus la tête est grosse, plus elle est près de sa floraison. Et une fois monté en fleur, l’artichaut n’est plus consommable. Nous cherchons donc les chardons les plus compacts et lourds, recouverts de feuilles serrées d’un beau vert vif.
Après la cueillette, les artichauts crus entiers se conservent quelques jours au réfrigérateur. Une fois cuits, ils doivent être consommés la journée même pour éviter un noircissement et une potentielle toxicité; toutefois, des artichauts épluchés et blanchis se préserveront plusieurs mois au congélateur.
CUISINE
Les parties comestibles de l’artichaut sont celles qui entourent le centre avant la floraison – soit le fond et la base des feuilles. C’est au-dessus du fond que se développent des centaines de toutes petites fleurs, composant le foin. Des feuilles ou - vertes sont signe que l’artichaut est trop mûr et que son foin sera trop abondant. Les parties comestibles renferment une grande quantité d’antioxydants, en plus d’êtres riches en fibres alimentaires, en cuivre, en folate et en autres minéraux.
Bien qu’on puisse simplement arroser les artichauts d’huile d’olive et de jus de citron avant de les lancer sur le gril, la manière la plus simple de les consommer consiste à les faire cuire dans l’eau bouillante ou à la vapeur avant de les manger tels quels. L’artichaut est prêt lorsque les feuilles situées près du centre se détachent facilement. Vous n’avez alors qu’à retirer les grosses feuilles dures et fibreuses avant de prélever les feuilles centrales une à une et de tremper leur base dans la sauce de votre choix.
Faites glisser chaque feuille entre vos dents, pour consommer la chair qui les recouvre, jusqu’à ce que vous atteigniez le cœur. Grattez le foin qui le protège à l’aide d’une cuillère, puis dégustez le cœur avec la sauce ou tel quel.
Vous pouvez aussi conserver les cœurs et les mariner, ou encore les utiliser pour préparer une tapenade ou une trempette crémeuse. Ils apporteront une touche riche et onctueuse à pommes de terre pilées, salades, pizzas, quiches, gratins et plats de pâtes. Vous pouvez aussi enlever les feuilles extérieures, couper le légume sur la longueur et en retirer le foin avant de le farcir et de le faire cuire. Réduit en crème, l’artichaut – dont le goût se marie bien à celui du citron et de l’ail – peut donner du fil à retordre à vos invités qui tenteront de deviner l’ingrédient vedette de la soupe.
À mon retour de la ferme, je suis bien trop emballée par mes découvertes de la journée pour que l’aventure s’arrête là. Je choisis le plus ferme des fruits de ma récolte et le lance dans mon cuiseur à vapeur – tout simplement – pendant que je pré - pare une sauce épicée et crémeuse. Alors qu’il est encore tout chaud, je mets tranquillement mon artichaut à nu, retirant une feuille à la fois jusqu’à ce qu’il ne reste que le délicat cœur à déguster. Je n’aurais jamais pensé que sous son enveloppe coriace, l’artichaut cachait un délice aussi tendre et riche.
Texte
Ariane Bilodeau
Photos
Sylvie Li